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23 septembre 2024

Le chant est l’essence de la musique

A l'occasion du concert du 15 septembre 2024, nous diffusons l'article de Jérôme Granjon nous explique ce qui est au coeur de la musique romantique et ce qui l'anime.

Le chant est l’essence de la musique. Dans le programme que nous vous proposons aujourd’hui, il est partout présent. D’abord bien sûr, à tout seigneur tout honneur, à travers la voix chantée, dans cette rencontre miraculeuse entre la musique et le texte qui constitue probablement le cœur de la musique romantique. Mais également à travers les cordes frottées du violon, et même, aussi contre nature que cela puisse paraître, à travers les cordes frappées du piano, ce qui constitue pour le pianiste sa plus grande gageure. D’un répertoire à l’autre, le contenu musical même des œuvres nous dit qu’il y a unité d’inspiration et continuité d’écriture.
 

Ludwig van Beethoven- Sonate pour piano et violon n° 5 en fa majeur op. 24

La célèbre sonate n° 5 en fa majeur op. 24 de Beethoven, très justement surnommée « Le Printemps », même si ce titre ne lui a été attribué qu’après la mort de son créateur, en est la plus parfaite illustration. Elle est encore d’esprit très mozartien, en particulier dans son premier mouvement, très chantant et volubile. Cela se comprend quand on sait que ses premières esquisses datent de 1794, très tôt dans l’œuvre de Beethoven et seulement trois ans après la mort de Mozart, même si elle n’a été terminée qu’en 1801. Son deuxième mouvement est un véritable lied, un hymne à la nature dont les inflexions mélodiques annoncent déjà celles d’un Chopin. Il y a quelque chose de très touchant, presque poignant, d’entendre ce chant qui s’épanouit avec tant de douceur et de sérénité, quand on sait que Beethoven entre pourtant dans une période particulièrement sombre de sa vie, celle de la prise de conscience du caractère irrémédiable de sa surdité progressive et du terrible sentiment d’isolement qui en découle tel qu’il l’exprime dans le fameux testament d’Heiligenstadt. Il est à noter que c’est la première des sonates pour piano et violon de Beethoven à comporter quatre mouvements.
 

Robert Schumann -Aus den hebraïschen Gesängen (extrait des Myrthen op. 25) / 7 Lieder op.104

Jusqu’en 1840, Schumann a composé exclusivement pour le piano seul. Cette année-là, il peut enfin épouser Clara après tant de lutte et de conflits avec le père de celle-ci, Friedrich Wieck, qui fut aussi son professeur. Soudain, comme il l’écrit à Clara, « le piano est devenu trop petit, je veux chanter comme un rossignol ! Quel bonheur d’écrire pour ta voix dont j’ai été si longtemps privé ! ». Clara, comme tous les musiciens d’alors, avait, en plus du piano, également étudié le chant et n’hésitait pas à chanter en s’accompagnant elle-même piano, comme Schubert l’avait fait auparavant. En cette année 1840, ce ne seront pas moins de 138 Lieder qui sortiront de la plume de Robert, en une floraison exceptionnelle de chefs-d’œuvre, dont le profond et sombre « Aus den hebraïschen Gesängen » extrait des Myrthen op. 25 que nous vous proposons. C’est beaucoup plus tard, en 1851, que Schumann composa les sept Lieder op. 104 sur des textes d’Elisabeth Kulmann, jeune poétesse disparue à 17 ans de la tuberculose. Schumann, déjà atteint par la maladie mentale qui lui sera fatale, est très touché lorsqu’il découvre le destin et l’œuvre de celle que Goethe considérait comme « un véritable prodige littéraire ». Dans ces poèmes tous de simplicité, la célébration de la beauté fragile d’une vie qui se sait déjà condamnée a profondément touché Schumann, certainement en écho à ses propres angoisses et sa propre mélancolie.
 

Davidsbündlertänzen op. 6

C’est beaucoup plus tôt, en 1837, que Schumann avait composé ses Davidbündlertanze op. 6, littéralement « Danses des compagnons de David ». Les « Compagnons de David » était le groupe qu’avait constitué le jeune Schumann contre ceux qu’il appelait les « Philistins », c’est à dire les bourgeois conservateurs et vulgaires. Clara est déjà très présente dans ces petites pièces – le numéro d’opus a été choisi en rapport avec l’une de ses compositions. Nous sommes, comme souvent chez Schumann, dans une sorte de carnaval où défile toute une galerie de personnages, à commencer par ceux qui représentent sa propre dualité : Eusebius, le tendre et rêveur, et Florestan, le farceur et fantasque. Dans la première édition de l’œuvre, chaque pièce est d’ailleurs signée par l’un de ces personnages, parfois les deux.
 

Jules Massenet - Méditation de Thaïs

Pendant une bonne partie du 19e siècle, jusqu’à la fin du du Second Empire, la musique romantique française s’est essentiellement déclinée à l’opéra. Jules Massenet, souvent surnommé « le Verdi français », est sans doute le compositeur le plus emblématique de cette période, avant le grand renouveau, à partir de 1870 et de la création de la Société Nationale de Musique, de la musique « sérieuse » française, c’est à dire dans les domaines de la symphonie et de la musique de chambre (dont les principaux artisans seront Saint-Saëns, Fauré et Franck). La très célèbre Méditation, intermède instrumental tiré de son opéra Thaïs, se situe à un moment charnière de l’œuvre, alors que le moine Athanaël a réussi à convaincre la belle courtisane Thaïs de quitter sa vie de luxure pour se tourner vers Dieu. Dans ce moment suspendu d’expression religieuse, le violon semble exprimer tout ce que les paroles ne sauraient dire.
Camille Saint-Saën
Si vous n’avez rien à me dire
L’attente
Le bonheur est chose légère
Violons dans le soirCamille Saint-Saëns, lui, a souvent été surnommé « le Beethoven français » pour la qualité architecturale de ses compositions. De fait ses symphonies et grandes œuvres de musique de chambre témoignent d’un sens de la grande forme qui n’était pas à l’époque la qualité la plus partagée par les compositeurs français. De ce fait, certains ont pu, à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, reprocher à sa musique d’être certes bien faite, mais peu inspirée voire sèche. Les mélodies que nous présentons dévoilent pourtant une autre facette de son œuvre. Il montre dans ces courtes pièces une sensibilité, parfois teintée d’ironie, et même une sensualité qu’on n’aurait pas forcément attendues de lui. Si « Le Bonheur est chose légère » est une mélodie pleine de charme et de simplicité, à laquelle la partie de violon dans la version que nous présentons ajoute encore plus de légèreté et d’ornement, « Si vous n’avez rien à me dire » possède un charme trouble, plein de sous-entendus suggestifs soulignés par les subtilités harmoniques de la partie de piano. Dans « L’Attente », l’espoir anxieux du retour du bien-aimé, très bien rendu par les battements incessants du piano, semble tourner à la folie, tandis que dans « Violons dans la soir », c’est toute une atmosphère lourde de plaisirs et de tourments qui se déploie dans cette pièce très originale dans laquelle le violon mène la danse, avec cette dimension diabolique directement venue de l’imaginaire populaire.
 
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Traduction des Lieder de Robert Schumann
 
Aus den Hebraïschen Gesängen von Lord Byron
Mon cœur est lourd ! Allons ! Décroche donc le luth du mur,
(Je ne peux supporter d’entendre que lui)
Délivre, d’une main habile, ses sons qui peuvent dompter la douleur.
Si mon cœur peut encore nourrir quelque espoir,
Celui-ci apparaitra par la magie de ces sons,
Et si mon œil retient des pleurs,
Ceux-ci couleront, je n’en sentirai plus la brûlure !
Mais que la rivière de ces sons soit profonde et sauvage,
Et qu’elle se détourne de toute joie !
Oui, chanteur, que je pleure,
Sinon, ce cœur lourd se consumera !
Car il s’est nourri de tourments,
Il a longtemps supporté de silencieuses veilles.
Maintenant touché au plus haut point,
Il se brisera ou trouvera sa guérison dans le chant.
 
Sieben Lieder Opus 104 von Elisabeth Kulmann
 
1. Mond meiner Seele Liebling
Lune, chère à mon âme, pourquoi cette pâleur extrême ?
Peut-être, O lune, un de tes enfants est-il malade ?
Le soleil, ton mari, est-il rentré mal en point à la maison ?
Et c’est pour venir épancher ta douleur que te voilà hors de chez toi ?
Ah, chère lune, un même sort m’atteint:
Maman est malade à la maison et n’a que moi auprès d’elle.
Pendant un instant, elle s’est assoupie ;
J’ai donc quitté le lieu de son repos pour redonner force à mon cœur.
Comme tu me réconfortes, O lune! Je ne suis pas seule à souffrir ;
Même toi, souveraine du monde, tu n’es pas constamment heureuse !
 
2. Viel Glück zur Reise, Schwalben!
Bonne chance pour votre voyage, hirondelles !
Vous migrez vers le sud magnifique et doux en un vol joyeux et hardi.
J’aimerais bien voyager un jour avec vous,
Pour voir les milliers de merveilles qu’offrent chaque royaume.
Mais, aussi beau et riche en merveilles que soit chaque pays,
Je reviendrai toujours vers ma patrie.
 
3. Du nennst mich armes Mädchen
Tu me nommes «Pauvre fille»: Tu as tort, je ne suis pas pauvre.
Arrache-toi, par curiosité, de ton profond sommeil.
Et regarde ma petite chaumière, quand le soleil se lève magnifique
Dans le ciel du matin : Son toit est en or pur !
Viens le soir, quand le soleil se couche dans la mer,
Et regarde mon unique fenêtre briller comme si elle était en topaze !
 
4. Der Zeisig
Eh bien, enfant, nous voici en mai, balance livres et cahiers !
Viens donc ici au grand air et chante avec moi.
Viens, faisons tous deux gaiement un concours de chant.
Et celui qui le veut décidera lequel des deux a le mieux chanté !
 
5. Reich mir die Hand, o Wolke
Tends-moi la main, O nuage, attire-moi à toi !
Là sont mes frères, à la porte grande-ouverte du Ciel.
Je les vois, même si je ne les ai jamais connus pendant ma vie ;
j’aperçois notre père auprès d’eux !
Ils baissent les yeux vers moi et m’invitent à les rejoindre.
Tends-moi la main, ô nuage, vite, vite, que je sois exhaussée !
 
6. Die letzten Blumen starben
Les dernières fleurs sont mortes !
Depuis longtemps la reine des doux mois d’été,
La belle rose, est tombée.
Toi, gracieux dahlia, tu ne lèves plus ta tête !
Même mon grand peuplier a déjà perdu la moitié de ses feuilles.
Moi qui ne suis ni un peuplier, ni une rose délicate et élancée,
Pourquoi ne devrais-je pas me faner si les roses se fanent ?
 
7. Gekämpft hat meine Barke
Ma barque a mené le combat contre les flots déchaînés.
J’aperçois la limite du ciel, la fureur de la mer s’abat.
Je ne peux pas t’échapper, ô mort que je n’ai pas choisie !
La fin de ma peine est le début du chagrin de mère.
O chère mère, ne sois pas trop oppressée par la douleur !
L’abîme de la mort ne nous séparera qu’un court instant.
Arrivée sur l’autre rive, je ne la quitterai plus :
Je regarderai toujours vers toi, et tendrai la main à ceux qui arrivent.

AUREUR DE L'ARTICLE : JEROME GRANJON
 

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